PLUS “PORTE DISPARU” DESORMAIS ?
adapté de l'article écrit
par Graeme Hosken et Yves Fohlen

La plupart des soldats australiens tués sur le front occidental et dont les corps ne furent pas retrouvés ont leur nom inscrit au mémorial de la Porte de Menin à Ypres en Belgique, ou à celui de Villers-Bretonneux en France. Si l'on retrouvait le corps d'un soldat et qu'on pouvait l'identifier sans aucun doute possible, son nom était retiré de la liste des “portés disparus” du mémorial et la plaque commémorative enlevée ou rectifiée par la Commonwealth War Graves Commission.
Yves Fohlen est tombé incidemment sur le cas d'un Australien qui a une sépulture mais dont le nom est pourtant inscrit à Villers-Bretonneux et dans la base de données du site internet de la CWGC, cette dernière indiquant encore le mémorial comme lieu où l'on peut honorer son souvenir. Or, il semblerait que la CWGC n'ait été informée de cette situation que récemment. Le soldat en question s'appelait William Edwin Gravell, était engagé volontaire et trouva la mort accidentellement le 30 juin 1916. Sa tombe se trouve dans le cimetière de Mussy-sous-Dun (Saône-et-Loire).

Au-dessus : la tombe du volontaire Gravell, à Mussy-sous-Dun. A droite : Un gros plan sur la pierre tombale prouve que l'épitaphe de Gravell est écrite en français, ce qui tend à affirmer que les autorités locales (plus que l'armée australienne) furent les auteurs de cette inscription ; de plus, il s'agit d'une pierre tombale civile au lieu de la classique tombe militaire en marbre. D'autres indices démontrent que la population française a rendu les honneurs à Gravell, en lui attribuant cette dernière demeure : il est spécifié “Australien” sur la pierre tombale, par exemple.

William Edwin Gravell a servi comme appelé sous le matricule 2856 dans le 60ème bataillon, jusqu'à sa mort survenue à l'âge de 29 ans le 30 juin 1916. Il était le fils de William Thomas et d'Emily B. Eleanor Gravell, résidant 27 Barrell Street à Albert Park, dans la province de Victoria. Il était né à Woodend (Victoria)2.

Un professeur de langues de Dubbo a fourni une traduction du texte paru sur le site du Chamois : “Et là !... Stupéfaction ! Une tombe oubliée, celle du soldat W. E. Grawell, tué accidentellement à Mussy-sous-Dun le 30 juin 1916. Oui, c’était plausible puisqu’à Mussy passe une voie ferrée venant de Lyon qui fut certainement très importante. La tombe est très propre mais oubliée. Cette tombe est à main gauche quand on entre dans le cimetière, dans une rangée du milieu”.
Ces propos laissent à penser que Gravell est mort soit dans un accident ferroviaire, soit des suites d'une maladie contractée sur le trajet depuis Lyon (le convoi venant du nord de Marseille). Bien que Gravell ait pu être le premier homme de la 5ème Division à mourir en France (le Quartier Général étant arrivé en France le 25 juin et la Division arrivant encore le 8 juillet), il n'en n'est pas fait mention dans l'ouvrage de Robin Corfield sur l'histoire des 57ème et 60ème bataillons. Son nom n'apparaît pas non plus sur le registre de la Returned and Services League“Officiers et hommes de l'Australian Imperial Force morts en service”, édité en 1919.

La “liste d'honneur” du site internet de l'Australian War Memorial nous a permis de recueillir davantage d'informations sur ce soldat “oublié”. Le dossier de ses états de services, que son père a demandé à consulter, indique que Gravell a été tué accidentellement à La Clayette, en France (cette ville, située au nord de Lyon, est située sur la voie ferroviaire reliant Marseille à Etaples et a été prise à l'époque par les troupes australiennes arrivant d'Egypte).

La famille de Gravell a dû demander à la Red Cross Wounded and Missing Enquiry Bureau d'enquêter sur les circonstances de la mort de leur fils. L'appelé W. J. Brown, du 60ème bataillon, a déclaré : “Nous venions de Marseille et il est tombé du train à l'entrée d'un tunnel. Le train s'est arrêté environ 2 miles plus loin et nous avons entendu dire qu'il était mort.” L'agent de transmission George Beaven (60ème bataillon) a informé la Croix Rouge que : "Le 30 juin à 10h du soir, venant de Marseille et à mi-chemin à peu près (nous avions dépassé Lyon), nous sommes entrés dans un tunnel ; Gravell est alors tombé du train. Je crois qu'il s'est brisé la nuque. Un lieutenant et un sergent sont retournés le chercher. Je n'étais pas dans la même voiture mais j'étais dans le convoi. Aucune information quant à l'enterrement."

Le dossier des états de service de Gravell a été mis en ligne en mai 2006 et à la lecture des 64 pages, on apprend qu'une cour d'enquête a été tenue par le 60ème bataillon le 1er juillet 1916, soit le jour suivant la mort de William. Cette enquête a été dirigée par le major T.F. Elliott. L'enquête a conclu que “(un certain) Gravell a malencontreusement trouvé la mort en tombant d'un train à proximité de la gare de La Clayette, en essayant d'uriner par la fenêtre abaissée de la porte de la voiture (b). Aucun officier ni sous-officier ne peut en être blâmé ni aucun autre homme du 60ème bataillon ; cette situation résulte de l'absence de lieux d'aisance dans le train et du peu de “haltes-repas” : les hommes étaient obligés d'uriner par la fenêtre.”

Un certain nombre de témoins a été appelé pour déposer à l'enquête. Gravell y a été décrit comme étant de bonne humeur avant sa mort, ayant même chanté juste avant l'accident. Il s'avère qu'à 22h environ, Gravell s'est levé de son siège pour aller uriner, a essayé de se hausser en posant le pied gauche sur un siège, le genou droit sur le rebord de la fenêtre et la main droite sur la porte, la tête dépassant de la fenêtre. Tandis que le train roulait à environ 25 miles/heure (40km/h), Gravell semble soit avoir perdu l'équilibre et être passé par la fenêtre, soit s'être heurté la tête contre un objet qui se trouvait dans le tunnel. Ses compagnons ont entendu deux coups et ont vu les pieds de Gravell disparaître par la fenêtre. Avant que le mot n'ait été passé au conducteur et le train arrêté, quinze minutes se sont écoulées.
La consigne a été donnée au chef de gare de La Clayette d'organiser les recherches nécessaires pour retrouver l'homme ; les Australiens stationnés/cantonnés à la gare de Paray-le-Monial ont reçu un message les informant qu'un corps avait été retrouvé et identifié comme appartenant au volontaire W.E. Gravell.

La traduction d'un document dans le dossier de Gravell énonce : "Je soussigné, Dr Grillet, demeurant à Chauffailles... sur la demande du maire de Mussy déclare avoir examiné le corps d'un homme trouvé sur la route (sic) et portant une médaille d'identité au nom de Gravell. Le corps est étendu à la mairie. La rigidité cadavérique n'a pas encore commencé. On note une blessure à la nuque. Du sang a coulé par le nez, probablement en raison d'une fracture des cervicales. Toutes les constatations concourrent à déclarer une mort accidentelle consécutive à une chute. Dr Grillet, 1er Juillet 1916.”

Le même jour, une autre lettre a été écrite et fournit des détails supplémentaires sur l'événement venant de se produire dans le village de Mussy : "Mairie de Mussy-sous-Dun au Sous-préfet de Charolles : j'ai l'honneur de vous informer qu'un accident mortel est survenu hier 30 juin à 22 heures dans le tunnel situé à côté de la gare de Mussy. Un soldat australien portant le médaillon d'identification n°2856 au nom de W.E. Gravell, 60ème bataillon, est tombé d'un train allant à Paray-le-Monial et a été tué. Il semblait âgé d'environ 25 ans et, selon le certificat médical joint, sa mort est certainement due à une rupture (fracture) des cervicales. Outre le médecin qui a établi ce certificat, la police municipale (gendarmerie) de Chauffailles a été immédiatement prévenue et s'est rendue sur les lieux pour dresser un procès-verbal de l'accident. L'inhumation aura lieu demain 2 juillet à 7 heures, par les soins de la mairie. Je vous prie de bien vouloir transmettre cette lettre au Préfet, afin qu'il soit informé de cet accident mortel et qu'il puisse en relater les circontances, le cas échéant."

Il s'avère donc que le corps de Gravell est resté dans le village de Mussy-sous-Dun pour y être enterré par les autorités locales. Dans cette lettre, le passage disant que “l'inhumation aura lieu demain 2 juillet à 7 heures, par les soins de la mairie” sera une preuve irréfutable pour la CWGC et permettra d'établir qu'il s'agit bien de W.E. Gravell, enterré à Mussy-sous-Dun par les gens du pays, plutôt que par l'armée. Cette attention des villageois français fut probablement la raison pour laquelle le lieu d'inhumation de Gravell ne fut pas enregistré et échappa par la suite à la vigilance de l'administration de l'AIF.

La 5ème Division s'engagea seulement 19 jours plus tard à la désastreuse bataille de Fromelles. La mort accidentelle de Gravell a peut-être été oubliée alors, au regard des 5533 pertes de la Division à Fromelles ; les fonctionnaires de la CWGC n'ont pas eu connaissance de la sépulture après la guerre, probablement à cause de l'éloignement géographique par rapport au secteur de la ligne de front et du fait qu'il repose dans un cimetière civil.

Le cas de Gravell a porté à l'attention de la CWGC, qui étudie actuellement le sujet. Une fois qu'elle aura établi de façon certaine qu'il s'agit bien de la tombe du volontaire Gravell son dossier sera mis à jour, l'inscription au mémorial de Villers-Bretonneux sera retirée et son entretien, arrêté. Sa sépulture civile sera alors remplacée par la pierre tombale officielle de la CWGC mais le bureau des sépultures australiennes de guerre a demandé à ce que la CWGC conserve l'inscription actuelle, pour des raisons historiques.

Grâce à l'annuaire et après plusieurs appels téléphoniques, j'ai pu parler à Madame Gwen Bourne résidant à Mulgrave (province de Victoria), qui est la petite-nièce de William Gravell. Gwen pense les Gravell ont appris que leur fils avait été tué dans un accident de train, mais elle croit qu'ils n'ont pas su qu'il avait reçu une sépulture. Ceci est confirmé par des documents figurant aux états de service de William Gravell. Le père de William, accomplissant les démarches pour que son fils figure dans la “liste d'honneur” - probablement au début des années 20 - écrivit qu'il n'avait reçu, à ce jour, aucun détail concernant l'endroit où était enterré son fils. Il n'y a aucune correspondance postérieure dans le dossier entre l'armée et la famille et informant les Gravell de la localisation de la tombe de leur fils.

Les lettres citées précédemment montrent que ces errements concernant le corps de W.E. Gravell ont été signalés aux autorités locales françaises dans les 24 heures suivant sa mort. Mais cette information a-t-elle été transmise au Quartier général de l'AIF ou, plus tard, à la Commission des sépultures de guerre ? Une note datée du 31 janvier 1918 ajoute à l'intrigue. Elle stipule : “Le Ministère de la guerre a l'honneur d'informer le Ministère des affaires étrangères qu'un extrait du registre des décès des archives de guerre indique le fait suivant : Gravell, W. E... anglican... Australien... est mort le 30 juin 1916 dans un endroit appelé Mussy-sous-Dun. Cette information est due à la diligence du maire de Mussy, qui a délivré le permis de transport nécessaire.” Est-ce que le “transport” indiqué relève uniquement d'une paperasserie administrative ou avait-on réellement pensé à exhumer le corps de Gravell, pour le rapatrier dans un cimetière militaire ? Le mystère demeure - élucider le contenu de cette lettre - comme pour quiconque a recherché l'endroit où Gravell avait été enterré. Il s'avère que cette correspondance n'a pas contribué à localiser la tombe de William pour la CWGC ou la famille.

Le mémorial de Villers-Bretonneux a ouvert en 1938 et le nom de Gravell y a été inscrit en tant qu'Australien “porté disparu” pendant la grande guerre. Le fait que son nom apparaisse toujours sur la base de données de la CWGC comme “porté disparu” indique non seulement que les autorités n'ont jamais découvert sa tombe mais également que ses parents ont dû, jusqu'à leur mort, pleurer un fils qui n'était apparemment enterré nulle part. Espérons que cette méprise sera bientôt rectifiée grâce au zèle de la CWGC et du bureau australien des sépultures de guerre et bien sûr au talent de Yves, qui a déniché une superbe histoire sur les Sapeurs de l'AIF.

Cet article a été préparé avec l'aide de la CWGC et le service des archives de Woden. Traductions à partir des documents français par E. Leonard et S. Somers (Dubbo).

NOTES :
CWGC (Commission des sépultures de guerre du Commonwealth).




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